Le gouvernement vient de publier deux décrets d’application sur les 31 textes prévus. Peu de surprises en perspective.
1. Ce qu'il faut retenir
Les décrets d’application de la réforme des retraites, promulguée le 14 avril 2023, commencent à sortir.
Les 2 premiers, publiés le 4 juin, concernent 3 articles fondamentaux de loi (art. 10, 11 et 17) portant notamment sur l’âge légal, la durée de cotisation, le taux plein et les cas de départs anticipés.
Pas de révolution, mais plutôt une confirmation et des précisions techniques, au global ces 2 décrets permettent surtout de valider des projections auxquelles on pouvait s’attendre. Ils donnent notamment des précisions sur le report progressif de l’âge légal et l’augmentation des durées de cotisations jusqu’à 172 trimestres, pour le cas général et pour des fonctionnaires. Ils précisent également le nouveau dispositif de départ anticipé pour carrière longue ainsi que pour les personnes en situation de handicap, invalides ou inaptes.
Décret 3 juin 2023, n°2023-435
Décret 3 juin 2023, n°2023-436
Les prochains décrets à paraître auront vocation à préciser les autres mesures, comme le cumul emploi-retraite, la hausse de la pension minimale, la retraite progressive, etc.
2. Conséquences pratiques – avis fidroit
2.1. Report progressif de l’âge légal et augmentation de la durée d’assurance
2.1.1. Cas général
Comme annoncé, le décret valide l’augmentation de l’âge légal de 62 à 64 ans (à concurrence de 3 mois / an).
Année de naissance | Age légal de départ en retraite | Durée d’assurance |
Entre 1958 et 1960 | 62 ans | 167 trimestres |
entre le 1/1/1961 et le 31/8/1961 | 62 ans | 168 trimestres |
entre le 1/9/1961 et le 31/12/1961 | 62 ans et 3 mois | 169 trimestres |
1962 | 62 ans et 6 mois | 169 trimestres |
1963 | 62 ans et 9 mois | 170 trimestres |
1964 | 63 ans | 171 trimestres |
1965 | 63 ans et 3 mois | 172 trimestres |
1966 | 63 ans et 6 mois | 172 trimestres |
1967 | 63 ans et 9 mois | 172 trimestres |
A compter de 1968 | 64 ans | 172 trimestres |
Décret 3 juin 2023, n°2023-435 art 1 à 4
Décret 3 juin 2023, n°2023-436 art. 1
CSS art. L 161-17-2 et D. 161-2-1-9 modifiés
2.1.2. 2.1.2. Cas particulier des fonctionnaires territoriaux et hospitalier et des ouvriers de l’état
L’augmentation de l’âge de départ en retraite et la durée d’assurance va également s’appliquer aux fonctionnaires territoriaux et hospitalier et aux ouvriers de l’état. Cependant, selon la catégorie de fonctionnaire, les seuils et la 1ère génération concernée varient :
- pour les catégories sédentaires (ex : instituteur) : l’âge de la retraite est relevé progressivement à 64 ans, en suivant le même calendrier que pour les salariés (+ 3 mois / an).
- pour les catégories actives (ex : pompier professionnel, aide-soignante) : l’âge augmente progressivement de 57 ans à 59 ans, avec un rythme de + 3 mois pour les personnes nées à compter du 1er septembre 1966 (ex : pour une personne née en octobre 1966, l’âge légal est de 57 ans et 3 mois). En définitive, les personnes nées à compter de 1973 auront le taux plein à 59 ans et 172 trimestres.
- pour les catégories super-actives (ex : policier, surveillant pénitentiaire) : l’âge légal passe de 52 ans 54 ans (avec un rythme de + 3 mois par génération). Cette augmentation s’applique aux personnes nées à compter du 1er septembre 1971.
En définitive, les personnes nées à compter de 1978 auront le taux plein à 54 ans et 172 trimestres.
Par ailleurs, à partir d’un certain âge, tout agent public (fonctionnaire ou contractuel) est mis d’office à la retraite. Les fonctionnaires sédentaires (ainsi que les contractuels) pourront désormais demander à travailler jusqu’à 70 ans, et jusqu’à 67 ans pour les fonctionnaires actifs.
Décret 3 juin 2023, n°2023-435 art. 3 à 12
CPCMR art. L. 24 modifié
CGFP art. L. 556-1 et CGFP art. L. 556-7 modifié
2.2. Refonte du dispositif pour carrière longue
2.2.1. Les nouvelles bornes de départs
Le dispositif « carrière longue » permet un départ anticipé pour les personnes ayant commencé à travailler jeune, sous réserve d’avoir cotisé suffisamment de trimestres. Quatre bornes sont prévues (contre deux avant la réforme).
- départ dès 58 ans si vous avez commencé à travailler à 16 ans (borne déjà existante avant la réforme);
- départ dès 60 ans, si vous avez commencé à travailler à 18 ans (borne déjà existante avant la réforme);
- départ dès 62 ans, si vous avez commencé à travailler à 20 ans ;
- départ dès 63 ans, si vous avez commencé à travailler à 21 ans.
Par ailleurs, pour le calcul des trimestres, de nouvelles périodes sont prises en compte notamment le congé parental et l’assurance vieillesse aidant. Elles s’ajoutent aux autres déjà pris en compte, comme les périodes de maladie et maternité par exemple.
Remarque : Ces deux nouvelles périodes cumulées ne pourront pas dépasser 4 trimestres.
La durée de cotisations minimum pour bénéficier du dispositif est alignée sur celle du taux plein (soit entre 160 et 172 trimestres selon l’année de naissance).
Décret 3 juin 2023, n°2023-436 art.2 et suiv.
CSS art. D 351-1-1 à D 351-1-3
2.2.2. augmentation progressive et clause de sauvegarde
Pour les assurés nés avant 1970, la borne des "20 ans" a été aménagée. En effet, jusqu'à présent elle permettait un départ à 60 ans et dès le 1er septembre le départ sera décalé à 62 ans. Afin de permettre une montée progressive entre les 60 ans et les 62 ans, le dispositif est aménagé comme suit :
Année de naissance | âge de départ anticipé (si début avant 20 ans) |
du 01/09/1961 au 31/08/1963 | 60 ans |
du 01/09/1963 au 31/12/1963 | 60 ans et 3 mois |
1964 | 60 et 6 mois |
1965 | 60 ans et 9 mois |
1966 | 61 ans |
1967 | 61 ans et 3 mois |
1968 | 61 ans et 6 mois |
1969 | 61 ans et 9 mois |
a partir de 1970 | 62 ans |
Décret 3 juin 2023, n°2023-436 art.2
CSS art. D 351-1-1 modifié
Enfin, une clause de sauvegarde est prévue pour les assurés pouvant actuellement partir pour carrière longue et qui auraient dû décaler leur départ avec le nouveau régime, afin qu’ils ne perdent pas leur droit à ce départ anticipé.
Cette dérogation s’applique aux personnes nées entre 01/09/1961 et 31/12 1963, ayant commencé leur activité avant 20 ans. S’ils partent en retraite avant le 1er septembre 2023, ils conservent les anciennes règles, c’est-à-dire départ à 60 ans et durée de cotisation de 168 trimestres. En revanche, en cas de départ après le 1er septembre la borne de départ passe à 62 ans. Néanmoins, la clause de sauvegarde prévoit pour ces assurés ayant validé 168 trimestres avant le 1er septembre 2023, de conserver la possibilité de partir à 60 ans.
2.3. Des précisions pour les personnes en situation de handicap
Peu de changements pour les personnes en situation de handicap. Elles conservent la faculté de départ dès 55 ans sous réserve d’avoir validé un certain nombre de trimestres, cependant les conditions d’accès sont assouplies :
- Le taux d’incapacité baisse de 80 % à 55 %
(CSS art. L 161-21-1 et D 161-2-4-3, I-al. 2 - Les trimestres pris en compte sont simplifiés puisqu’il suffit désormais d’avoir cotisé le nombre de trimestres nécessaires. Par « trimestre cotisé » il faut entendre les trimestres obtenus grâce à un emploi (cotisations payées sur des revenus d’activité). Elle diffère de la notion de « trimestre validé » qui désigne des périodes assimilées permettant d’obtenir des trimestres sans cotisation (ex : période de chômage).
Cette durée de cotisation dépendra de l’année de naissance.
Rappel
Antérieurement, le départ anticipé pour handicap nécessitait d’avoir à la fois un nombre minimum de trimestres validés et une durée d’assurance minimum cotisée.
En outre, deux cas de départs anticipés pour invalidité ou inaptitude sont ouverts dès 62 ans, à compter du 1er septembre 2023. Ainsi :
- Pour les personnes en invalidité suite à un accident du travail ou une maladie professionnelle (AT-MP) :
- Avec taux d’incapacité supérieur à 20 % : départ dès 60 ans (dérogation déjà existante)
- Avec un taux d’incapacité entre 10 % et 19 % : départ à 62 ans
- Pour les personnes inaptes au travail ou ayant une incapacité permanente supérieure à 50 % : départ dès 62 ans
CSS art. D 351-1-14
Remarque
La possibilité de départ à 62 ans est également étendue aux personnes ayant une incapacité permanente de 80 % au moins (mais non reconnues inaptes)
Décret 3 juin 2023, n°2023-436 art. 2 à 8
CSS art. D 351-1-5 modifié
CSS art. L 161-21-1 et D 161-2-4-3 modifiés
CSS art. L 351-1-4 et CSS art. D 351-1-14 modifiés
2.4. Possibilité d’annuler la demande de départ
Certains assurés qui auraient déjà amorcé leur demande de départ en retraite, mais qui sont concernés par le recul de l’âge légal et/ou l’augmentation de la durée de cotisation, peuvent annuler leur demande.
Il suffit d’envoyer la demande d’annulation aux organismes de sécurité sociale (ou mutuelle agricole) à compter du 4 juin 2023 et au plus tard au 31 octobre 2023.
Aucune sanction n’a été précisée en cas de dépôt hors délai. Il s’agira probablement d’un refus de liquidation (si âge légal non atteint) ou de l’application d’une décote (si durée de cotisation non atteinte).